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mardi 27 mai 2014

La Refondation : le changement, c’est maintenu ? (compte rendu de la réunion avec Phiippe Watrelot)



La Refondation : le changement, c’est maintenu ?

Mercredi 21 mai 2014, le Sgen-CFDT du Lycée Lyautey a invité Philippe Watrelot, président des Cahiers pédagogiques pour échanger avec les collègues sur les enjeux de la refondation de l’école.
Nous avions ciblé trois thèmes : qu’est-ce qu’être prof ? Un programme, est-ce seulement une somme de connaissances ? Ça sert à quoi l’école, à noter, à classer ?

Philippe Watrelot a donné comme fil directeur à son intervention : « le changement, c’est maintenu ? » Le titre donne le ton : c’est avec conviction, celle du militant de la pédagogie, et humour qu’il a conduit son propos afin de susciter réflexions et discussions.

Il a d’abord rappelé pourquoi il était urgent de mener une refondation de l’école. Notamment, par une analyse des rapports PISA – qu’il ne faut pas résumer à ce qui fait les délices des médias, à savoir une compétition entre les différents systèmes scolaires du monde - il insiste sur le défaut majeur de notre école. (PISA)
Ce ne sont pas les performances moyennes des élèves de 15 ans qui sont mauvaises, ni même leur évolution, c’est le fossé qui se creuse entre ceux qui réussissent le mieux et ceux qui réussissent le moins bien. La particularité française est d’avoir une excellente école pour les très bons élèves, pour l’essentiel issus des classes privilégiées et des milieux enseignants.
En France, pour des raisons historiques, on a du mal à concevoir une école pour tous : il n’est pas anodin que l’on dépense moins d’argent pour les élèves du primaire que pour les élèves du secondaire pour lesquels on dépense moins que pour ceux de classes préparatoires.

La réunion est terminée : l’assistance était nettement plus nombreuse que la photo tend à le montrer...

La France est un pays de concours, d’où un système d’évaluation à l’école perçu d’abord comme un outil de classement, lui qui aurait dû depuis très longtemps s’inscrire dans une logique d’apprentissage. Or comme l’école se fonde sur le principe de l’égalité des chances, l’effet qui en résulte est qu’elle rend les élèves responsables de leur échec. S’ils avaient saisi la chance qui leur a été donnée (en étant à l’école), ils auraient réussi.
C’est en 1807 que le baccalauréat est né, mais on devenait alors bachelier sans être noté ! Une majorité de boules blanches et on est bachelier, une majorité de boules noires, et on est blackboulé ! La note n’intervient qu’à la fin du XIXe siècle en même temps que le système des concours. Et toute l’école fonctionne depuis sur ce modèle, comme si de l’entrée dans le système jusqu’à sa sortie, on devait passer des concours sans arrêt, à chaque évaluation. Observons qu’une moyenne de 10 sur 20 n’a guère de sens, puisqu’on peut avoir 15 en tricot et 5 en maçonnerie. Remarquons aussi que le 20/20 a longtemps été du domaine de l’inaccessible, du devoir parfait, idéal.

Il est devenu urgent, dans le souci démocratique de construire l’école pour tous, de s’atteler à une réforme d’envergure, ce que le ministre Vincent Peillon a entrepris.
Mais dès les premiers pas, très modestes pourtant, de sa Refondation, il s’est heurté à des difficultés qui expliquent probablement son remplacement par Benoît Hamon, nommé sans doute « pour pisser sur les braises » ce pourquoi Jack Lang fut nommé en son temps ! Au passage, il rappelle, qu’un ministre de l’éducation de la Ve république ne reste en moyenne en poste que deux ans, juste le temps d’éventuellement lancer une réforme dont on ne pourra mesurer les effets qu’une dizaine d’années après !

Philippe Watrelot analyse finement ce qui est en jeu chez les enseignants quand on veut changer l’école : eux qui en sont le rouage essentiel, perçoivent les velléités de changement comme des attaques de leur façon d’enseigner, sur le mode « si les résultats de l’école sont mauvais, c’est la faute des profs ! » ; ainsi, les frustrations accumulées notamment lors du quinquennat précédent où ils ont été particulièrement méprisés et malmenés, ont provoqué cette explosion de mécontentements notamment au moment de la réforme des rythmes scolaires, quand il s’est agi de rétablir la semaine de 4 jours et demi.

Pour mener à bien une telle ambition – la Refondation de l’École - , il eût fallu avoir l’adhésion des profs, en leur donnant des gages, car la refondation ne peut se faire qu’avec eux.
Si Philippe Watrelot n’a pas trop insisté sur les freins syndicaux, ceux-ci sont le témoin des peurs des profs. Il fallait donc se les concilier : et contrairement à ce qu’on a cru, ce n’est pas le cadeau des 60 000 postes qui a pu les amadouer car d’une part ils n’en ont pas vu les effets concrets et de l’autre, ils n’ont  vu aucune amélioration de leurs conditions de travail. En plus, et c’est là que le bât blesse, les « 60 000 postes » ne relève pas du périmètre de la refondation mais d’une promesse de campagne faite par Hollande qui s’est empressé de la réaliser pour montrer qu’il est bien le président qui met la jeunesse et l’école au centre de sa politique, ce qui a supprimé toutes marges de manœuvre pour son ministre. Or, il eût sûrement fallu donner des gages financiers !
Les syndicats ont vécu en leur sein des tensions fortes entre des directions souvent prêtes à parler refondation (rythmes scolaires par exemple) et la base (qui s’est d’ailleurs exprimée depuis à travers plusieurs enquêtes syndicales) qui réclame d’abord et surtout qu’on en finisse avec des réformes qui s’ajoutent les unes aux autres et qui transforment l’enseignant en girouette devant changer de façon de faire sans cesse, aux prises avec des injonctions contradictoires.
Car les réformes, aussi indispensables soient-elles, posent des problèmes d’application : la machine éducation nationale est très efficace pour fabriquer des procédures, des « usines à cases », mais qui sont porteuses de très peu de sens pour les collègues qui sont censés les appliquer. Elle fonctionne de haut en bas, de manière lourdement bureaucratique : ce qui est décidé en haut doit être appliqué en bas sans qu’en bas, on ne comprenne forcément le sens de ce qui est demandé.

La question du socle est emblématique : mis en place officiellement, il y a déjà pratiquement 10 ans, des disciplines s’en sont emparées intelligemment ; d’autres n’ont pas su le faire ; il a manqué  souvent l’adhésion des hiérarchies intermédiaires, notamment des inspections ; il a débouché sur un livret de compétences d’une complexité telle qu’il est devenu la fameuse « usine à cases » et que les compétences à valider se sont ajoutées aux évaluations classiques avec leurs notes et leurs moyennes qui n’ont évidemment pas disparu. Le brevet entérinait le maintien de la logique des moyennes associée à la validation des compétences ! Sa disparition a été un soulagement !
La nouvelle écriture de ce qui est désormais appelé « socle commun de connaissances, de compétences et de culture », telle que la presse en a fait état (texte non définitif, non officiel et non validé), ressemble encore à un ensemble idéal de très bonnes intentions (organisé autour de cinq domaines et non plus sept compétences, dont le domaine « apprendre à apprendre » qui avait été « oublié » du socle précédent) visant à définir tout ce qu’un élève devrait maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire. Mais les moyens d’arriver à ces nobles objectifs ne sont pas connus, et la façon dont seront évalués les acquis des élèves, non plus. Il est vrai qu’il ne s’agit pas encore du texte officiel ; les critiques apportées le trouvent imprécis et surtout non opérationnel, relevant, comme à l’accoutumée, de l’incantation, puisqu’en fait à travers ces cinq domaines, on dessine un élève idéal. (Présenté ensuite aux syndicats, voici ce qu'en dit le Sgen-CFDT)

Quand on parle de revoir le socle et de le redéfinir, des collègues passionnément impliqués depuis de nombreuses années dans de nouvelles pédagogies, ne comprennent pas pourquoi il faudrait revoir ce qu’ils ont mis en œuvre depuis longtemps tandis que d’autres ne continuent à voir dans le socle que des cases à cocher.
Des collègues, remarquant et louant la qualité de notre école, en comparaison de l’école anglo-saxonne, dont la pauvreté des contenus est affligeante et qui fabrique des élèves dénués d’esprit critique tant leurs connaissances sont insignifiantes, craignent que le socle ajouté à d’autres façons d’évaluer (sans note par exemple), débouche sur une dévaluation de notre école, d’un affaiblissement de nos exigences. Rappelons que notre école est sans conteste une école de qualité pour les très bons élèves !
Et Philippe Watrelot l’a dit nettement, il n’a jamais été question pour les militants du socle commun « promesse démocratique », d’un smic culturel ou éducatif, il n’a jamais été question de ne plus former les élèves à l’esprit critique, il s’agit au contraire de se fixer des objectifs réalistes à atteindre plutôt que d’écrire des programmes idéaux et de fixer des objectifs idéaux pour des élèves idéaux. Le socle n’est pas une soumission aux méthodes anglo-saxonnes ni au libéralisme économique, mais le moyen de permettre à tous les élèves d’acquérir des compétences indispensables pour réussir leur vie d’adulte. (pour comprendre le monde, savoir porter sur lui un regard critique, agir dans sa vie personnelle, sociale, professionnelle, se former tout au long de sa vie selon le Sgen-CFDT

Pour finir, Philippe Watrelot rappelle le paradoxe le plus criant qui est que nombre de collègues font tout pour que leurs élèves réussissent, multiplient les expériences pédagogiques, sont obligés de trouver des solutions au quotidien, en rabattent avec les hautes exigences des programmes, mais qu’ils sont aussi très nombreux et souvent les mêmes à refuser toute réforme, en usant des arguments en contradiction avec leur pratique (non au lycée light ! non au smic culturel ! le niveau baisse ! etc…) car l’injonction à se réformer, venant d’en haut, les culpabilise en leur renvoyant une image négative de leur travail au quotidien. Comment en finir avec cette culpabilisation ?

En leur donnant plus confiance, en les reconnaissant, en leur donnant plus d’autonomie…
Alors, à quand plus de confiance dans le travail des uns et des autres, dans leurs initiatives, à quand plus d’autonomie, plus de respect pour l’investissement des enseignants.
Souhaitons que le travail sur le socle et les programmes laisse la part belle aux initiatives locales.

Ajoutons, et ce pourrait être une autre question de débat, que pour plus de confiance dans le travail effectué à la base, il faudrait promouvoir le travail en équipe.
Tout n’a pas pu être abordé, on n’a pas pu approfondir… On pourrait encore parler de tout cela pendant des heures.
Rendez-vous est pris pour une autre rencontre…

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