Pages

mardi 18 mars 2014

L'art difficile du travail en équipe

Parmi les réactions très critiques au rapport de Terra Nova sur l'école commune (rapport au demeurant très intéressant), nous avons lu ici qu'il serait nécessaire, plutôt que de vouloir changer les structures de l'école et du collège, "de leur (aux enseignants) offrir les conditions matérielles pour le travail en équipe, la réflexion pédagogique sur les contenus et leurs pratiques"...

Suffit-il d'offrir aux enseignants des conditions matérielles pour un bon travail en équipe ?



La question du travail collectif a été traitée avec brio par Enseigner au XXI siècle. Il montre qu'il est réduit "à pas grand-chose : se réunir pour un sujet de devoir commun, parler des élèves dans des conseils de classe ritualisés et tournant souvent à vide, choisir le manuel en fin d’année, en se méfiant beaucoup de la « réunionnite » et des « paperasses inutiles » genre fiches de suivi ou d’objectifs communs." Cet article renvoie à un texte plus ancien qui invite à la réflexion : "Travailler en équipe pédagogique, c'est partager sa part de folie", de Philippe Perrenoud (In Cahiers pédagogiques, n° 325, 1994, pp. 68-71.)

Philippe Perrenoud essaie d'analyser les facteurs de résistance au travail en équipe, qu'on peut avec un minimum de lucidité retrouver dans chacun d'entre nous :
-les effets positifs ne se vérifient pas forcément sur le terrain ;
-le travail en équipe peut priver l'enseignant de ce qui lui plaît dans ce métier, ce qui fait son identité professionnelle. L'auteur parle même de ce qui lui permet de "durer dans la carrière". Et de fait, ceci se traduit souvent par un attachement viscéral à la sauvegarde de sa "liberté pédagogique" ou comme entendu récemment "ma pédagogie c'est juillet et août"!
Le travail en équipe peut être vu comme facteur limitant cette liberté.

De fait, quand on regarde les moments où les équipes se retrouvent, les effets bénéfiques de ces rencontres ne sautent pas aux yeux. Le conseil pédagogique n'invite guère aux échanges et si échange il y a, ils portent essentiellement sur des questions administratives : dates des examens blancs, dates de telles ou telles activités... Les réunions de préparation de sujets de bac blanc ou des corrections doivent se dérouler le plus rapidement possible, ce qui en soi n'est pas forcément une mauvaise chose, mais est tout de même le signe qu'on se réunit parce qu'on n'a pas le choix, et que plus vite cela se terminera, mieux cela sera. Un bon conseil de classe est un conseil de classe qui s'est déroulé très vite !... Travailler ensemble n'est pas vu comme une dimension majeure de notre métier.
Et ce n'est pas simplement en disant qu'il faut davantage travailler collectivement parce que c'est mieux, que d'un seul coup de baguette magique, on puisse le faire, on sache le faire, on ait envie de le faire... Par définition, c'est une tâche qu'on fait à plusieurs !

Enseigner au XXI siècle  explique que le travail en équipe, le travail collectif est " quelque chose de professionnel, où on fait travailler ensemble des gens qui ne se choisissent pas, mais doivent coopérer de manière organisée et institutionnalisée". Il démontre d'une part que cela s'apprend et d'autre part que cela ne doit pas signifier la perte de la dimension créative de notre métier, c'est à dire la part essentielle de l'individu.

Partout, on fait le constat de la pauvreté du travail en équipe, mais que le temps de ce travail augmente ; on constate une méfiance à son endroit mais aussi un besoin de coopération. On préférerait ne travailler qu'avec des collègues qu'on a choisis, or souvent on doit en effet travailler avec des collègues que l'on n'a pas choisis.

Or comme nous n'avons jamais appris à le faire, que rares sont les personnes qui dans notre environnement ont appris à le faire, nous appréhendons les moments où l'on doit travailler ensemble, nous jetons sur ces moments un regard cynique ou de simple dérision, ou nous sommes frustrés, déçus, amers....
Nous avons du mal à faire travailler nos élèves en groupe, puisque nous n'en connaissons pas bien les règles et en avons des expériences négatives. Nous continuons à ne développer que leurs compétences (ou savoirs) individuel(le)s ; les meilleurs de nos élèves sont rarement capables de bien travailler en équipe mais sont d'excellents compétiteurs.

Alors comment sortir de ce cercle vicieux ? Suffit-il d'offrir aux enseignants les conditions matérielles pour le travail en équipe comme suggéré plus haut ?

Terminons pas les dernière lignes du propos de Philippe Perrenoud où il définit la part de folie évoquée dans son titre, celle qui bloque le travail en équipe, qu'il faudrait partager ou mettre de côté :

"Je parle d’une folie moins visible, celle que chacun porte en soi, sa part de peurs archaïques, d'angoisses imprécises, de rêves inavouables, d'arbitraires et de partis pris d'équilibres précaires, de contradictions, d'imprévu, de créativité, de fantasmes, de blessures, sa volonté de puissance, son désir d'être aimé et reconnu, ses conduites largement obsessionnelles, ses absences, bref, tout ce par quoi nous sommes des êtres humains plutôt que des machines. Selon la nature du travail, cette part de folie est plus ou moins investie. Elle l'est fortement dans la relation éducative, inévitablement. Travailler en équipe touche à cette part de folie, confronte à celle des autres, pousse à exprimer l'indicible, à négocier une part de soi-même. Pourquoi serait-ce facile ?"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire