En
ces temps de discussions sur la réforme du collège, pour une mise en
perspective historique des débats d'aujourd'hui, je propose la nouvelle version (communiquée aux collègues du lycée Lyautey) du compte rendu de l'ouvrage de l'historien, Antoine
Prost : Du changement dans l'école - Les grandes réformes dans
l’éducation de 1936 à nos jours, Seuil, 2013. 385 pages.
...
L’Historien Antoine Prost montre que la plupart des réformes ambitieuses et systémiques de l’École, n’ont pas été menées à leur terme : dans le meilleur des cas, il
en sort une nouvelle mesure, dans le pire, c’est le retour au statu quo ante. Son étude se termine avec la réforme Fillon en 2005.
Jean Zay,
ministre de l’éducation sous le Front Populaire allonge la scolarité obligatoire
jusqu’à 14 ans et souhaite réaliser l’école unique,
c'est-à-dire fondre deux systèmes qui fonctionnent en parallèle (primaire
puis primaire supérieur d’un côté et de l’autre, classes élémentaires et
premier cycle des lycées) en un seul ensemble défini par un tronc commun, puis
une année d’orientation avant d’opter pour une des trois voies, classique,
moderne et technique.
Cependant, le syndicat national des instituteurs (SNI) craint l’affaiblissement
du système primaire (École normale, EPS) alors que les agrégés (le CAPES n'existe pas alors) et le syndicat
national des lycées et collèges défendent l’enseignement secondaire et ses
méthodes.
La commission Langevin (plan Langevin-Wallon) pour la réforme de
l’enseignement s’inscrit dans la lignée des efforts du Front populaire et de la
volonté des résistants de modifier radicalement l’école pour qu’elle soit
vraiment démocratique. Les classes de
Jean Zay servent de modèles aux classes nouvelles
du nouveau 1er cycle. Pourtant ce plan n’aboutit pas : certes des
classes nouvelles expérimentales fonctionneront avec une pédagogie très
avant-gardiste (classes de 25 élèves maximum ; 3 professeurs seulement
- lettres, sciences et langue -, volontaires organisent ensemble le
travail des élèves qui se fait entièrement en classe et souvent en
groupes …) mais les traditionalistes qui veulent le maintien du latin y
font échec.
Il faut s’adapter à un nouveau public scolaire (effets du baby boom et du
projet d’extension de la scolarité obligatoire à 16 ans) et aux besoins en main
d’œuvre très qualifiée, dans un système encore dual :
cours complémentaires qui deviennent CEG (collège d'enseignement général) dans le cadre de l’enseignement
primaire ; et classes de lycée … On crée par décret un cycle 6e-5e
de type tronc commun valable dans les deux structures
mais dont sont exclus de facto ceux qui ont commencé leur scolarité au CEG car
on n’y fait pas de latin.
Des collèges d’enseignement secondaire, CES (1963), vont donc naître mais comme des petits lycées et non des écoles moyennes : pas de tronc commun mais des filières juxtaposées avec le maintien de deux corps d’enseignants, ceux de la partie classique ont la même formation que leurs collègues de lycée (CAPES et agrégation) tandis que les autres sont des instituteurs devenus PEGC. Donc l’idée ancienne (plan Langevin-Wallon) d’un établissement de 1er cycle polyvalent est réalisée mais « sans corps enseignant particulier, sans tronc commun, sans unité pédagogique ». Le secondaire a fait la conquête de l’école moyenne. Mais les mauvais élèves sont marginalisés.
Le colloque d’Amiens (mars 68) réfléchit à une profonde
réforme : contre une conception exclusivement intellectualiste de la
culture, pour une autre relation pédagogique, le travail d’équipe et
l’individualisation de l’enseignement. Le ministre
Peyrefitte veut expérimenter en créant des classes de 25 élèves maximum, avec
tiers temps, sans composition ni redoublement avec un enseignement de
technologie pour qu’après la 3e, l’élève s’oriente par un choix
positif et non par défaut. Mais Pompidou, en défenseur des humanités, montre
son hostilité.
L’après mai semble inaugurer une nouvelle ère : finis les cours le samedi après midi, le tiers temps semble s’imposer (15h + 6h + 6h), fini le latin en 6e et 5e (puis vite rétabli en 5e) et on inaugure la notation par lettres. Finie souvent aussi l’estrade et l’on déplace beaucoup de tables et chaises à cette époque ! L’échec des maths modernes discrédite les prétentions novatrices. Les professeurs se divisent entre traditionalistes et novateurs ; on s’oppose sur la place des parents dans les conseils de classe et le syndicalisme anti-mai - SNALC (par ex) - est en plein essor.
Au total, en 40 ans, l’enseignement ne s’est pas vraiment adapté à l’allongement de la scolarité jusqu’à 16 ans….
Elle veut transformer l’école. Savary ministre de l’éducation, hérite du collège
unique issu de la réforme Haby de 1975 (en
fait l’aboutissement du processus décrit) avec la séparation des filières. Les
résultats sont médiocres puisque les redoublements, la violence croissante - du fait entre autres du grand nombre de
grands élèves en échec scolaire au collège -, montrent que
ce 1er cycle ne répond pas au besoin d’une grande partie de la
population. La
gauche veut donc rénover les collèges : la commission nationale mise en
place par Louis Legrand propose des groupes de niveaux pour certaines matières,
la fin des redoublements, le tutorat (un prof suit une dizaine d’élèves),
un cours réduit à 50 mn, des obligations de service de 16 h avec (et
non « face ») les élèves, avec 3 heures de concertation et 3 heures
de tutorat = 22 h de présence. C’est un tollé général avec
pétitions de toutes sortes.
C'est à cette époque que l'hostilité à l'encontre des "pédagogues" se constitue en théorie structurée. Elle manie la caricature : Legrand veut transformer les écoles en garderie ! transformer les profs en Gentils animateurs… Les réformes pédago expliquent la ruine de l’enseignement. Mais aucune proposition, sauf à renforcer la sélection, n’émane de cette coalition qui associe traditionalistes défenseurs des humanités, et extrême gauche, pour accuser les « pédagogues » d’être les fossoyeurs de l’école et … de la République.
Le gouvernement Jospin et son ministre Allègre (1997...) réfléchissent à remettre en cause la conception purement secondaire du collège. Une consultation des enseignants de lycée très appréciée accouche des TPE - très critiqués car "c'est un enseignement qui rompt avec la notion de discipline, dont les thèmes n'ont pas de lien avec les programmes et dont les heures sont des "pertes sèches pour l ’apprentissage des disciplines" - , tandis que l’idée de découpler l’enseignement en 15h avec les élèves et 4h d’aide personnalisée tombe à l’eau par la conjonction du manque d’intérêt d’Allègre et de la coalition des adversaires d’autant plus déchainés qu’ils détestent ce ministre provocateur.
Commande un rapport (Thélot) qui préconise une grande consultation et
imagine une redéfinition du métier enseignant avec une polyvalence
et un temps de présence allongé. Devant l’opposition syndicale, il ne reste que l’idée du socle commun (2005) non des
connaissances mais des fondamentaux, ce qui induit une continuité
primaire-collège et non plus collège-lycée. On ne note guère de volonté
politique pour appliquer cette réforme, ce qui la maintient dans le
« faire semblant » avec l’indigeste livret de compétences
De plus, le dénigrement systématique des IUFM (1989) créés par le ministre Jospin pour que les futurs maîtres, des premier et second degrés puissent faire face aux nouveaux enjeux, ajouté à l’absence de réflexion de fond sur la pédagogie à mettre en œuvre dans le 1er cycle… débouche sous Sarkozy sur leur quasi-disparition et surtout la scandaleuse suppression de la formation des enseignants.
Donc les réformes de structure (plus souvent par décrets que par la loi) sont importantes mais toutes celles touchant à la façon d’enseigner ont échoué. Le pouvoir politique arbitre mais les alternances affaiblissent voire rendent impossible toute réforme de longue haleine !
Les professeurs du secondaire ont tout rejeté : des classes nouvelles aux IUFM ; ils rejettent une primarisation du secondaire, qui remet en cause leur identité professionnelle fondée sur la spécialisation disciplinaire. Toute tentative de réforme est vue comme modernisation néolibérale ou/et une atteinte à la tradition …
Quelle amélioration des conditions de travail a-t-on obtenue par la politique du refus ? Quelle amélioration salariale a-t-on décroché ? Quelle égalité et quelle justice peut-on aujourd'hui célébrer comme preuve du bien-fondé de ces choix ?
...
1-
En 1936, ...
2-
A la libération,...
3-
Au début de la Ve
république, ...
Des collèges d’enseignement secondaire, CES (1963), vont donc naître mais comme des petits lycées et non des écoles moyennes : pas de tronc commun mais des filières juxtaposées avec le maintien de deux corps d’enseignants, ceux de la partie classique ont la même formation que leurs collègues de lycée (CAPES et agrégation) tandis que les autres sont des instituteurs devenus PEGC. Donc l’idée ancienne (plan Langevin-Wallon) d’un établissement de 1er cycle polyvalent est réalisée mais « sans corps enseignant particulier, sans tronc commun, sans unité pédagogique ». Le secondaire a fait la conquête de l’école moyenne. Mais les mauvais élèves sont marginalisés.
4-
En 1968, ...
L’après mai semble inaugurer une nouvelle ère : finis les cours le samedi après midi, le tiers temps semble s’imposer (15h + 6h + 6h), fini le latin en 6e et 5e (puis vite rétabli en 5e) et on inaugure la notation par lettres. Finie souvent aussi l’estrade et l’on déplace beaucoup de tables et chaises à cette époque ! L’échec des maths modernes discrédite les prétentions novatrices. Les professeurs se divisent entre traditionalistes et novateurs ; on s’oppose sur la place des parents dans les conseils de classe et le syndicalisme anti-mai - SNALC (par ex) - est en plein essor.
Au total, en 40 ans, l’enseignement ne s’est pas vraiment adapté à l’allongement de la scolarité jusqu’à 16 ans….
5-
Quand la gauche
arrive au pouvoir en 1981, ...
C'est à cette époque que l'hostilité à l'encontre des "pédagogues" se constitue en théorie structurée. Elle manie la caricature : Legrand veut transformer les écoles en garderie ! transformer les profs en Gentils animateurs… Les réformes pédago expliquent la ruine de l’enseignement. Mais aucune proposition, sauf à renforcer la sélection, n’émane de cette coalition qui associe traditionalistes défenseurs des humanités, et extrême gauche, pour accuser les « pédagogues » d’être les fossoyeurs de l’école et … de la République.
Le gouvernement Jospin et son ministre Allègre (1997...) réfléchissent à remettre en cause la conception purement secondaire du collège. Une consultation des enseignants de lycée très appréciée accouche des TPE - très critiqués car "c'est un enseignement qui rompt avec la notion de discipline, dont les thèmes n'ont pas de lien avec les programmes et dont les heures sont des "pertes sèches pour l ’apprentissage des disciplines" - , tandis que l’idée de découpler l’enseignement en 15h avec les élèves et 4h d’aide personnalisée tombe à l’eau par la conjonction du manque d’intérêt d’Allègre et de la coalition des adversaires d’autant plus déchainés qu’ils détestent ce ministre provocateur.
6-
La droite de
retour au pouvoir (2002) ...
De plus, le dénigrement systématique des IUFM (1989) créés par le ministre Jospin pour que les futurs maîtres, des premier et second degrés puissent faire face aux nouveaux enjeux, ajouté à l’absence de réflexion de fond sur la pédagogie à mettre en œuvre dans le 1er cycle… débouche sous Sarkozy sur leur quasi-disparition et surtout la scandaleuse suppression de la formation des enseignants.
Donc les réformes de structure (plus souvent par décrets que par la loi) sont importantes mais toutes celles touchant à la façon d’enseigner ont échoué. Le pouvoir politique arbitre mais les alternances affaiblissent voire rendent impossible toute réforme de longue haleine !
Les professeurs du secondaire ont tout rejeté : des classes nouvelles aux IUFM ; ils rejettent une primarisation du secondaire, qui remet en cause leur identité professionnelle fondée sur la spécialisation disciplinaire. Toute tentative de réforme est vue comme modernisation néolibérale ou/et une atteinte à la tradition …
C P
...
L'alliance
des défenseurs des disciplines traditionnelles et de leur cloisonnement,
de ceux qui refusent de céder à la pression néolibérale et des
conservateurs nostalgiques, a donc une longue histoire. La coalition présente montre, hélas, qu'elle a également de beaux jours devant elle.
A
quel prix ? Quelle amélioration des conditions de travail a-t-on obtenue par la politique du refus ? Quelle amélioration salariale a-t-on décroché ? Quelle égalité et quelle justice peut-on aujourd'hui célébrer comme preuve du bien-fondé de ces choix ?
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