Pages

vendredi 3 avril 2015

La réforme du collège : les bégaiements de l'histoire


Il me semble opportun de remettre en ligne ce compte rendu du 16 décembre 2013, de l'ouvrage d'Antoine Prost "Du changement dans l'école - réformes de l'éducation de 1936 à nos jours".

Pour en faciliter la lecture, je surligne en rouge quelques points.
Pourquoi donc l’histoire bégaye t-elle tant quand il s'agit de réformer l’École ?



 

Dans cette histoire des « grandes réformes dans l’éducation depuis 1936 », l’historien Antoine Prost a à l’esprit - on ne peut guère en douter - la Refondation de Vincent Peillon, enclenchée à l’été 2012 et ses différentes péripéties. S’il se veut résolument optimiste, lui qui reconnait que les enseignants, souvent poussés par la nécessité, sont nombreux à chercher à enseigner autrement, le bilan qui ressort n’invite pas à un regard serein sur le système Éducation nationale, à moins de se dire que les changements se feront à petites touches à partir de la base… Peut-être les futurs enseignants formés dans les nouveaux ESPE seront-ils les nouveaux hussards ?

Antoine Prost montre que certes d’importants changements ont modifié  le système éducatif, certains se faisant sans bruit, comme la mixité, d’autres pas à pas, poussés par une société en mouvement, mais qu’ils ne concernent que la structure et jamais la façon d’enseigner. La plupart des réformes ambitieuses et systémiques n’ont pas été menées à leur terme : dans le meilleur des cas, il en sort une nouvelle mesure, dans le pire, c’est le retour au statu quo ante.



Les réformes après la Fondation de l’école républicaine qui se termine en 1902 avec la parité des bacs classiques et modernes, consistent essentiellement à trouver des solutions pour rendre l’école un peu plus démocratique, c'est-à-dire assurer une éducation à des enfants de plus en plus nombreux, garçons et filles, dans le cadre d’une scolarité dont la limite est repoussée à 16 ans (voire 18 ans). C’est cet aspect surtout que nous reprendrons, avec en arrière plan la problématique de la nature de l’enseignement à offrir aux jeunes de 12 à 16 ans.
Prost rappelle évidemment que très tôt les garçons et même les filles ont été à l’école (organisée d’abord par des congrégations puis, avec la loi Guizot, systématisée dans toutes les communes d’au moins 300 habitants) tandis que Napoléon qui devait faire face à des besoins en dirigeants (officiers, ingénieurs ou préfets….) créaient des lycées (un par cour d’appel). Mais si Jules Ferry et ses lois sur l’école, contribuent largement à la démocratisation, celle-ci se jouera dans les années qui suivent sur la scolarisation après l’école obligatoire.
Pendant longtemps, c’est l’enseignement primaire qui permet une poursuite d’études gratuites dans les écoles primaires supérieures(EPS) et cours complémentaires(CC), tandis que l’enseignement secondaire se modernise avec des professeurs agrégés et formés dans les facultés, et que naît un secondaire féminin grâce à loi Camille Sée en 1880. Mais se pose la question de l’accès au baccalauréat réservé longtemps aux élèves des lycées : un bac moderne très décrié par les conservateurs est créé et l’on pense à unifier le cursus entre les EPS et le lycée, par un système de cycles, ce qui permet alors aux élèves des EPS de passer au lycée pour tenter le baccalauréat moderne (sans latin). En 1902, les deux bacs (classique et moderne) sont à parité.

En fait, c’est la question de l’école unique, ou de l’école moyenne qui se pose durablement : Jean Zay, ministre de l’éducation sous le Front Populaire allonge la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans et souhaite réaliser l’école unique, c'est-à-dire fondre les deux systèmes qui fonctionnent en parallèle : primaire suivi du primaire supérieur d’un côté et de l’autre, classes élémentaires et premier cycle des lycées, en un seul ensemble défini par un tronc commun, puis une année d’orientation avant d’opter pour une des trois voies, classique, moderne et technique. Cependant, le syndicat national des instituteurs (SNI) craint l’affaiblissement du système primaire (École normale, EPS) alors que les agrégés et le syndicat national des lycées et collèges défendent l’enseignement secondaire et ses méthodes. Les changements se feront par décret. Les programmes du 1er cycle du secondaire et du primaire supérieur seront finalement unifiés et des classes de 6e d’orientation, avec une pédagogie résolument nouvelle, créées à titre expérimental. Le gouvernement inspiré par les mouvements pédagogiques (Freinet) met en place loisirs dirigés et éducation physique pour former des hommes complets. Beaucoup d’entrain et d’effervescence entourent ces projets, mais hormis quelques nouveautés comme les travaux dirigés, la guerre empêche qu’ils aboutissent.

A la libération, la commission Langevin pour la réforme de l’enseignement s’inscrit dans la lignée des efforts du Front populaire et de la volonté des résistants de modifier radicalement l’école pour qu’elle soit vraiment démocratique. L’école obligatoire doit être prolongée jusqu’à 18 ans et répondre à deux objectifs, initier à la culture et préparer à la vie professionnelle. Il y aurait deux cycles dans le second degré, le 1er étant un cycle d’orientation et le 2nd cycle serait divisé en trois branches ; de plus serait instaurée une maternelle pour les 3 à 7 ans. Les classes d’orientation de Jean Zay servent de modèles aux classes nouvelles du nouveau 1er cycle. Pourtant ce plan n’aboutit pas : des classes nouvelles expérimentales certes fonctionneront avec une pédagogie très avant-gardiste (classes de 25 élèves maximum ; 3 professeurs seulement -lettres, sciences et langue-, en principe volontaires organisent ensemble le travail des élèves qui se fait entièrement en classe et souvent en groupes …) mais les traditionalistes qui veulent le maintien du latin y font échec. L’absence de soutien des gouvernements et des partis de gouvernement qui n’ont pas montré d’intérêt et laissé agir les lobbies traditionalistes ainsi que la méfiance des enseignants qui restent attachés à la spécialisation disciplinaire, expliquent aussi que le plan Langevin-Wallon n’aboutit finalement pas.

La Ve république étend la scolarité obligatoire à 16 ans pour les enfants nés après janvier 1953. La population scolaire augmente par les effets du baby boom et du projet d’extension à 16 ans. Les efforts d’adaptation à ce nouveau public passent encore par la dichotomie cours complémentaires (qui deviennent CEG)  dans le cadre du primaire et les classes de lycée où l'on parle désormais de  6e, 5e… Il est de plus en plus indispensable d’élever le niveau de formation pour faire face aux besoins en ingénieurs et techniciens donc on ouvre la 6e à tous sans examen (1956). C’est urgent pour que la France ne soit pas intellectuellement sous développée. Mais face aux besoins, forts des premières grandes études sociologiques, on réfléchit à une meilleure orientation. On crée par décret un cycle 6e-5e mais la scolarité commencée (sans latin) en CEG - dont le nombre est multiplié à grande vitesse-, il est impossible de changer de filière, qui signifie aussi changer d’établissement ; de plus les projets de tronc commun se heurtent à ceux qui, avec Pompidou, y sont hostiles par attachement aux humanités. Des CES vont donc naître mais comme des petits lycées et non des écoles moyennes : pas de tronc commun donc mais des filières juxtaposées avec le maintien de deux corps d’enseignants, ceux de la partie classique ont la même formation que leurs collègues de lycée (CAPES et agrégation) (1963) tandis que les autres sont des instituteurs devenus PEGC. Donc l’idée ancienne (plan Langevin-Wallon) d’un établissement de 1er cycle polyvalent est réalisée mais « sans corps enseignant particulier, sans tronc commun, sans unité pédagogique ». Le secondaire a fait la conquête de l’école moyenne ! Mais les mauvais élèves sont marginalisés. Bientôt le SNI, le SNES et le PC font du plan Langevin-Wallon un mythe sans vouloir se souvenir pourquoi il a échoué ! Et le nombre d’élèves explose dans le 1er cycle ce qui se répercute sur le deuxième cycle.

Or de Gaulle favorable à une scolarité étendue ne veut cependant pas ouvrir le second cycle, et prône une sélection pour endiguer la « masse de crétins » ! Mais entre Pompidou qui souhaite une sélection par les examens (le bac) et de Gaulle qui rêve de quotas, du fait de l’agitation estudiantine dès avant 68, aucun projet n’est mis à exécution, le 1er cycle universitaire s’adapte avec le DUEL en 66.

Dans le même temps, l’école primaire change sans bruit notamment avec la réforme Berthouin qui la transforme en premier degré entre la maternelle et le second degré. On distingue désormais les enfants non plus par sexe mais par âge, répartis désormais dans cinq classes différentes : le retard scolaire devient alors un problème. De plus le primaire n’étant plus une fin en soi, les programmes changent pour préparer au collège, les anciens élèves de « fin d’études » vont en transition, qui est le seul lieu où l’on invente d’autres formes de pédagogie : individualisation, évaluation qui apprécie les progrès. 

Pourtant, dans les années 60, il devient évident qu’il faudrait modifier toute la pédagogie du collège ; les questions pédagogiques sont médiatisées ; on veut lutter contre le « surmenage scolaire ». Ainsi en mars 68, le colloque d’Amiens réfléchit à une profonde réforme : contre une conception exclusivement intellectualiste de la culture, pour une autre relation pédagogique, le travail d’équipe et l’individualisation de l’enseignement. Le ministre Peyrefitte clôt le colloque, c’est dire « le grand impératif de rénovation pédagogique ». Il veut expérimenter en créant des classes de 25 élèves maximum, avec tiers temps, sans composition ni redoublement avec un enseignement de technologie pour qu’après la 3e, l’élève s’oriente par un choix positif et non par défaut. Mais Pompidou montre son hostilité.
L’après mai semble inaugurer une nouvelle ère : finis les cours le samedi après midi, le tiers temps semble s’imposer (15h + 6h + 6h), fini le latin en 6e et 5e (puis vite rétabli en 5e) et on inaugure la notation par lettres. Finie souvent aussi l’estrade et l’on déplace beaucoup de tables et chaises à cette époque !! C’est aussi le moment des maths modernes qu’on met en application à la rentrée 69 en 6e et en 2nde. Mais c’est le désastre ! Cela compromet les autres réformes et discrédite les prétentions novatrices. Les professeurs se divisent entre traditionalistes et novateurs ; on s’oppose sur la place des parents dans les conseils de classe et le syndicalisme anti-mai -SNALC (par ex)- est en plein essor ! En fait la donne est faussée car cette effervescence désordonnée et joyeuse contribue à associer réforme pédagogique et mouvement de mai : c’est ainsi que le débat pédagogique se politise. Les mouvements pédagogistes se trouvent coincés entre une droite qui les dénonce ou les réprime quand elle est au pouvoir, et une gauche qui ne s’y intéresse pas vraiment. (Après 68, c’est aussi la réforme de l’université menée intelligemment par Edgar Faure. )

Au final, en  40 ans, l’enseignement ne s’est pas vraiment adapté à l’allongement de la scolarité jusqu’à 16 ans….
Quand la gauche arrive au pouvoir en 1981, elle veut libérer l’école. Savary ministre de l’éducation, hérite du collège unique issu de la réforme Haby de 1975 (en fait l’aboutissement du processus décrit) avec la séparation des filières. Les résultats sont médiocres puisque les redoublements, la violence croissante -du fait entre autres du grand nombre de grands élèves en échec scolaire au collège-, montrent que ce 1er cycle ne répond pas au besoin d’une grande partie de la population. La gauche veut donc rénover les collèges : Louis Legrand met en place une lourde commission nationale (rapport remis en 83) qui propose des groupes de niveaux pour certaines matières, la fin des redoublements, le tutorat (un prof suit une dizaine d’élèves), un cours réduit à 50 mn, des obligations de service de 16 h avec  (et non « face ») les élèves, avec 3 heures de concertation et 3 heures de tutorat = 22 h de présence. C’est un tollé général avec pétitions de toutes sortes.
C'est à cette époque que l'hostilité à l'encontre des "pédagogues" se constitue en théorie structurée. Elle manie la caricature : Legrand veut transformer les écoles en garderie ! transformer les profs en Gentils animateurs… les réformes pédago expliquent la ruine de l’enseignement.. Mais aucune proposition sauf à renforcer la sélection. Il est impossible de répondre à ce genre d'arguments, discours d’autorité relevant de l’évidence, du bon sens conduit par une coalition qui associe traditionalistes défenseurs des humanités, et l’extrême gauche, qui accusent les pédagogues d’être les fossoyeurs de l’école et … de la République.
Rien ne se fera sauf la mise en œuvre du projet d’établissement ! En même temps, la vaste consultation des lycées du 6 oct 1982 se déploie afin de faire évoluer la vie scolaire, la pédagogie et les structures ; c’est un grand succès reconnu même par le SNES : les profs ont enfin pu s'exprimer !
Néanmoins, les ZEP sont inventées et facilement mises en œuvre : c’est une véritable révolution conceptuelle qui admet que l’équité démocratique exige de donner plus à ceux qui ont moins. C’est le principal acquis de ce premier temps de la gauche au pouvoir.
Après l’échec de Savary dans son projet d’un grand service public de l’éducation face à la levée de bouclier des tenants de l’école libre, le nouveau gouvernement Fabius avec Chevènement change complètement de cap (juillet 84)… le courant réformateur est submergé ! Fabius cependant annonce la création des baccalauréats professionnels qui vont permettre d’approcher les 80% au niveau du bac (en 96 = 63,6% au niveau bac !). C’est un énorme changement qui  clôture le cycle des réformes introduit en 1959 en faisant enfin de la classe de 3e le premier palier d’orientation. Mais l’échec scolaire n’est pas enrayé : ce qui tend à prouver que  changer les structures ne change rien à ce qu’il faut appeler la pédagogie.
En ce sens, le gouvernement Jospin et son ministre Allègre (1997...) réfléchissent à remettre en cause la conception purement secondaire du collège.  De même une consultation des enseignants de lycée très appréciée accouche des TPE, tandis que l’idée de découpler l’enseignement en 15h avec les élèves et 4h d’aide personnalisée tombe à l’eau par la conjonction du manque d’intérêt d’Allègre et de la coalition des adversaires d’autant plus déchainés qu’ils détestent ce ministre provocateur.

La droite de retour au pouvoir (2002) commande un rapport (Thélot) qui préconise une grande consultation et imagine de nouveau une redéfinition du métier enseignant avec une polyvalence et un temps de présence allongé. Devant l’opposition syndicale, il ne reste que l’idée du socle commun non des connaissances mais des fondamentaux, ce qui induit une continuité primaire-collège et non plus collège-lycée. On ne note guère de volonté politique pour appliquer cette réforme, ce qui la maintient dans le « faire semblant » avec l’indigeste livret de compétences et met en évidence le problème majeur : celui de la gouvernance, notamment dû à l’absence de continuité ministérielle. De plus, le dénigrement systématique des IUFM (1989) (créé par le ministre Jospin pour que les futurs maîtres, des premier et second degrés, puissent faire face aux nouveaux enjeux) (« Destituer les prof de leurs disciplines » ; « réforme qui liquide les profs » « prof animateur ») sans que jamais on n'ait procédé à une évaluation sereine, ajouté à l’absence de réflexion de fond sur la pédagogie à mettre en œuvre dans le 1er cycle… débouche sous Sarkozy sur leur quasi-disparition et surtout la scandaleuse suppression de la formation des enseignants.


Donc les réformes de structure (plus souvent par décrets que par la loi) sont importantes mais toutes celles touchant à la façon d’enseigner ont échoué. Le pouvoir politique arbitre mais les alternances affaiblissent voire rendent impossible toute réforme de longue haleine ! Les professeurs du secondaire ont tout rejeté : des classes nouvelles aux IUFM ; ils rejettent une primarisation du secondaire, qui remet en cause leur identité professionnelle fondée sur la spécialisation disciplinaire. Le ministère peine à les convaincre et l’opinion est mal informée. Toute tentative de réforme est vue comme modernisation néolibérale ou/et une atteinte à la tradition … Cette alliance des conservateurs traditionalistes et de ceux qui veulent défendre leur discipline pour ne pas céder à la pression néo-libérale, si elle semble jouer à nouveau face à la Refondation de Peillon, durera-t-elle ? Antoine Prost se veut optimiste car les professeurs sont sans cesse contraints de changer leurs pratiques qui de fait s’écartent de leur discours identitaire… Une autre façon d’enseigner est en train de se définir ….

Antoine Prost, Du changement dans l'école - Les grandes réformes dans l’éducation de 1936 à nos jours, Seuil, 2013. 385 pages

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire