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samedi 30 mai 2015

Réforme du collège, point de vue curriculaire : compte rendu de l'intervention de Jean-Marc Lange



Compte rendu de la réunion du Sgen-CFDT du 28 mai 2015 (14h00-15h30) du Lycée Lyautey
avec Jean-Marc Lange professeur en didactique des sciences à Rouen

Réforme du collège, point de vue curriculaire

Le Sgen-CFDT du lycée Lyautey a invité par skype Jean-Marc Lange de l’Université de Rouen (http://civiic.univ-rouen.fr/?q=content/jean-marc-lange) pour parler de la question de l’interdisciplinarité et du curriculum en rapport avec l’actualité de la réforme du collège.
Nous remercions les collègues présents dont la diversité disciplinaire illustrait parfaitement la thématique de l’interdisciplinarité.



1-      Qu’est ce qu’un curriculum ?
C’est d’abord un concept qui dépasse un simple programme ; il peut s’organiser ou non en disciplines, ou en programmes. C’est un parcours. Il sous entend obligatoirement une sélection.
Historiquement, le curriculum a d’abord été vu simplement comme le résultat de la décision d’une génération de préserver et transmettre des éléments qui appartiennent à la culture.Puis des pratiques sociales se sont ajoutées : qu’est ce qu’une génération doit connaitre et maitriser en vue de faire citoyenneté ?
Cela entraine cependant une tension entre deux légitimités : la légitimité académique/scientifique et la légitimité sociale.
Ces débats d’ailleurs ne datent pas d’aujourd’hui, mais de la révolution française !
Depuis les années 90, on s’aperçoit que le curriculum - ayant une visée éducative et formative - peut être centré soit sur le savoir, soit sur l’élève, soit sur la société. Ce qui permet au sociologue anglais Ross d’évoquer des idéaux-type curriculaires. La question est : comment pilote-t-on le curriculum ? Par les contenus, par le processus ou par l’objectif ?


On note une évolution : on est passé petit à petit des contenus aux compétences. C’est un changement important même s’il n’est pas assumé. Il faut comprendre la tension entre les modes de pilotage.

Ces tensions s’expriment à travers les idéologies (voir le schéma supra)

2-       On va voir cela à travers le cas de l’éducation au développement durable, cas très emblématique.
La question est : comment l’école peut-elle renouveler ses contenus et prendre en charge la complexité, l’incertitude, l’irréversibilité, et l’interdépendance ? Cela impliquant des changements dans les contenus et les savoirs.
Sont alors à l’œuvre des tensions entre les savoirs experts et les savoirs profanes ; c'est-à-dire entre les spécialités académiques et les savoirs de groupes sociaux. C’est le cas pour toute question de société. Où on a plusieurs types d’acteurs.
Ce sont des savoirs hybrides : 
-          entre Sciences de la nature et Sciences Humaines et Sociales
-          entre savoirs et valeurs
-          entre concept et action
Par exemple, la biodiversité ne concerne pas que les sciences de la nature, mais aussi les sciences humaines. Derrière, il y a des valeurs et une dimension forte vers l’action.
Cela oblige à penser autrement.
Configurations didactiques possibles et leurs déterminants (J. Simonneaux, 2011)

Or pour l’école, c’est une difficulté quand on ne peut pas dire le vrai et le faux, ce qui engendre du malaise. S’ajoute le risque de ne se situer que dans le registre de l’opinion.
Quels sont les attributs prêtés aux savoirs ?







L’EDD, c’est une didactique de l’action : ce ne sont  plus des savoirs mais des enjeux qui seraient les nouveaux contenus. A s’approprier.
Les enjeux sont-ils seulement ceux posés par les médias ou par les experts ?
Se pose aussi la question de la forme scolaire.

Et donc l’interdisciplinarité pour qui ? Les élèves ? Les enseignants ?
Cela est à mettre en relation avec la conception de la société. (voir schéma supra sur les postures politiques).
[Aparté : la part de l’éducation a curieusement diminué quand on est passé du ministère de l’instruction publique  au ministère de l’éducation nationale.]
Les enseignants sont plutôt attachés à la forme traditionnelle. L’approche par projet s’y oppose car elle se fait ni par classe et ni par discipline.
En fait, l'interdisciplinaire n'a vraiment de sens que pour les enseignants car les élèves n’ont pas intégré encore en primaire et début de collège l’approche disciplinaire.
L’approche plurielle correspond à la multiplication des points de vue, c’est la complexité, la multi dimensionnalité.
On ne peut pas tout savoir, ni maitriser la pluralité des rationalités disciplinaires, mais en les croisant, on peut dégager une zone d’intelligibilité.
Une vraie interdisciplinarité serait de partager les concepts : c’est trop difficile.
Par contre dans le cadre de projet, sur des objets intermédiaires, c’est concevable.

Il faut penser des « moments » d’éducation qui ne sont ni des moments de classe, ni des moments disciplinaires.
Des  moments (Lebeaume, 2000 ; Bisault, 2011) d’éducation à  articuler
Contributions disciplinaires : et non pas découpages disciplinaires car on perdrait la complexité et donc l’intérêt.
Investigations multi référentielles d’enjeux de DD : on fait des enquêtes, on prend du recul, en faisant si besoin appel aux disciplines ; chaque discipline étant limitée ne peut pas résoudre tout.
Bref, « Enseignants : Nouvelles compétences, nouveaux gestes professionnels, nouvelles postures » !

3-      Questions - remarques des participants et réponses de J.M. Lange :
1-      Question de définitions : transversalité ? Pluridisciplinarité ? Interdisciplinarité ?
La réponse de M. Lange :
- transversalité : c'est une question de société, "d'un ailleurs", qui n'est donc pas disciplinaire. Néanmoins, elle traverse les programmes. Par ex, la santé est une question transversale et on a besoin des disciplines.
- pluridisciplinaire : chaque discipline a un élément de rationalité, chacune apporte sa pierre à l’édifice, sans prendre en charge le tout (idée de renoncer à toute tentative d'hégémonie).
- interdisciplinaire : une grammaire commune, des concepts, outils, méthodes partagés. En pratique c'est une sorte d'utopie, très couteuse intellectuellement parlant. Cela rejoint l'approche systémique, difficile à mettre en place.
2-      Comment convaincre les enseignants qui sont attachés à leur discipline et rétifs face aux EPI car soupçonnés de n’apporter que du savoir bas de gamme, du bien-fondé de l’interdisciplinarité et des futurs EPI ?
On ne peut pas convaincre. Cela dépend des attributs qu’on porte aux savoirs. Il faut que chacun se rende compte par lui-même qu’il y retrouvera ses billes. En revanche, les élèves aiment et s’y retrouvent. Essayez, osez et vous verrez…
3-      On constate que ça marche quand les enseignants s’entendent, sont motivés, autrement dit acceptent de donner du temps pour les concertations et le travail d'équipe ; on ne peut pas imposer.
Oui, mais ça va diffuser… avec le risque pour les pionniers de la lassitude.
4-      Témoignage d'une collègue : sur un dispositif obligatoire pour tous les enseignants et élèves, dans un collège en ZEP (Yvelines) qui articulait bien le disciplinaire et l'interdisciplinaire appelé  "Pôles" : scientifique /littéraire/linguistique et professionnel ; avec alignement des créneaux : 1h30 l'après-midi (au moins 3 fois par semaine),  4/ 5 fois dans l'année pendant 2/3 semaines. Chaque niveau est divisé en groupes de compétences et animés en co-intervention avec une heure hebdomadaire de concertation pour les équipes de chaque pôle : le bilan très positif pour les profs et les élèves ; cela demande une autonomie des établissements (possible par  dérogation selon l'article 34 sur l’expérimentation.
= Avoir une autonomie par rapport à la forme scolaire
JM Lange donne l’exemple de la Suisse romande et en conclut que la question de la gouvernance est centrale. Dans ce cas, la réforme est partie d’une évaluation de manière autonome à la base.
5-      Les ESPE proposent-ils des formations dans ce sens ?
Pratiquement jamais. Jamais on ne leur montre des projets collectifs.
6-      On dit qu’on veut lutter contre les inégalités scolaires par l’interdisciplinarité, or on constate (expérience en AP de seconde de travail croisant l’analyse filmique, la SVT et la philosophie) parfois que les élèves ne comprennent pas ce qu’on attend d’eux ; on sent que certains décrochent parce qu’ils ne maitrisent pas les notions des disciplines concernées, donc leurs interventions sont pauvres.
En effet, car on ne peut pas se passer des enseignements disciplinaires pour remédier … Risque en effet de la bouillie conceptuelle, de l’anomie…
7-      En MPS : l’absence d’évaluation ne motive pas les élèves.
Oui, c’est la question du sens, et des évaluations : il serait intéressant d’avoir une évaluation par compétences, avec la difficulté de savoir lesquelles …

Tous les participants sont désireux qu’une nouvelle rencontre de ce type ait lieu en début d’année scolaire prochaine, par ex sur le thème de l’évaluation par compétences.
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4-      Conclusion du Sgen-CFDT : 
Le Sgen-CFDT est heureux de constater que par-delà les chapelles syndicales, les collègues sont désireux de comprendre les enjeux didactiques de ces types d’enseignements (TPE - IDD - AP - et bientôt EPI) ce qui ne peut que nourrir la réflexion, la capacité à analyser les difficultés rencontrées lors de nos expériences, donner l’envie de l’action et de multiplier les échanges entre nous. Qu’un spécialiste nous y aide est vraiment salutaire et ne fait que conforter notre besoin de formations, nous qui sommes conscients que le fait d’être sur le terrain ne suffit pas à notre connaissance, notre savoir-faire, nos compétences, notre expertise et qu’inversement, ce n’est pas parce que notre intervenant « n'a pas du mettre souvent les pieds dans un collège », qu’il n’aurait rien à nous apprendre, comme cela nous a été dit ! C’est bien mépriser les collègues que de considérer qu’ils n’ont pas envie de comprendre ce que signifie « enseigner » … Et c'est bien de la responsabilité d'un syndicat de leur permettre cette ouverture, pour mieux vivre son métier d’enseignant.
Merci infiniment à Jean-Marc Lange.

Les schémas appartiennent à Jean-Marc Lange.

Petite biblio :
·         LANGE, J.-M., JANNER, M. & VICTOR, P. (2013). Des élèves auteurs d’un développement durable, un enjeu éducatif opératoire pour la scolarité obligatoire. Penser l’éducation, Hors Série, décembre 2013, 115-130.
·         LANGE, J.-M. (2013). Education au développement durable : enjeux épistémologiques et didactiques des reconfigurations disciplinaires possibles. Journées scientifiques du Ccléopodi (Curricula Compétences Langage Evaluation Polyvalence Didactiques des Disciplines) 2013 « Changements dans les curricula et reconfigurations des disciplines scolaires », Toulouse, 24-25 octobre 2013.
·         SCHNEEBERGER, Patricia; COTTEN, Alain; GOIX, Hervé; GOIX, Marcelle; RODRIGUEZ, Raymond; VIDAL, Mauricette Types de travaux personnels encadrés, postures d'enseignants et structuration (Institut national de recherche pédagogique, Paris (FRA), 2004), ASTER, 39
·         MAGNERON, Nathalie; LEBEAUME, Joël Les élèves et les itinéraires de découverte. Entre temps extraordinaire et postures moins ordinaires  (Institut national de recherche pédagogique, Paris (FRA), 2004), ASTER, 39

Avertissement :
Les schémas appartiennent à Jean-Marc Lange. Si vous les utilisez, merci de citer votre source (Jean-Marc Lange Université de Rouen)

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