Compte
rendu de la réunion du Sgen-CFDT du 28 mai 2015 (14h00-15h30) du Lycée Lyautey
avec
Jean-Marc Lange professeur en didactique des sciences à Rouen
Réforme
du collège, point de vue curriculaire
Le Sgen-CFDT du lycée Lyautey a invité par skype Jean-Marc Lange de l’Université de Rouen (http://civiic.univ-rouen.fr/?q=content/jean-marc-lange) pour parler de la question de l’interdisciplinarité et du curriculum en rapport avec l’actualité de la réforme du collège.
Nous remercions les collègues présents dont la diversité disciplinaire
illustrait parfaitement la thématique de l’interdisciplinarité.
1- Qu’est ce qu’un curriculum ?
C’est d’abord un concept qui dépasse un simple programme ; il peut
s’organiser ou non en disciplines, ou en programmes. C’est un parcours. Il sous
entend obligatoirement une sélection.
Historiquement, le curriculum a d’abord été vu simplement comme le
résultat de la décision d’une génération de préserver et transmettre des éléments
qui appartiennent à la culture.Puis des pratiques sociales se sont ajoutées : qu’est ce qu’une
génération doit connaitre et maitriser en vue de faire citoyenneté ?
Cela entraine cependant une tension entre deux légitimités : la
légitimité académique/scientifique et la légitimité sociale.
Ces débats d’ailleurs ne datent pas d’aujourd’hui, mais de la
révolution française !
Depuis les années 90, on s’aperçoit que le curriculum - ayant une visée
éducative et formative - peut être centré soit sur le savoir, soit sur l’élève,
soit sur la société. Ce qui permet au sociologue anglais Ross d’évoquer des
idéaux-type curriculaires. La question est : comment pilote-t-on le
curriculum ? Par les contenus, par le processus ou par l’objectif ?
On note une
évolution : on est passé petit à petit des contenus aux compétences. C’est
un changement important même s’il n’est pas assumé. Il faut comprendre la
tension entre les modes de pilotage.
Ces tensions s’expriment à travers les idéologies (voir le schéma supra)
2-
On va voir cela à travers le cas de
l’éducation au développement durable, cas très emblématique.
La question est : comment l’école peut-elle renouveler ses
contenus et prendre en charge la complexité, l’incertitude, l’irréversibilité,
et l’interdépendance ? Cela impliquant des changements dans les contenus
et les savoirs.
Sont alors à l’œuvre des tensions entre les savoirs experts et les
savoirs profanes ; c'est-à-dire entre les spécialités académiques et les
savoirs de groupes sociaux. C’est le cas pour toute question de société. Où on
a plusieurs types d’acteurs.
Ce sont des savoirs hybrides :
-
entre Sciences de la nature et Sciences Humaines et Sociales
-
entre savoirs et valeurs
-
entre concept et action
Par exemple, la biodiversité ne concerne pas que les sciences de la nature,
mais aussi les sciences humaines. Derrière, il y a des valeurs et une dimension
forte vers l’action.
Cela oblige à penser autrement.
Configurations didactiques possibles et leurs déterminants (J. Simonneaux, 2011) |
Or pour l’école, c’est une difficulté quand on ne peut pas dire le
vrai et le faux, ce qui engendre du malaise. S’ajoute le risque de ne se
situer que dans le registre de l’opinion.
Quels sont les attributs prêtés aux savoirs ?
L’EDD, c’est une didactique de l’action : ce ne sont plus des savoirs mais des enjeux qui seraient
les nouveaux contenus. A s’approprier.
Les enjeux sont-ils seulement ceux posés par les médias ou par les
experts ?
Se pose aussi la question de la forme scolaire.
Et donc l’interdisciplinarité pour qui ? Les élèves ? Les enseignants ?
Cela est à mettre en relation avec la conception de la société. (voir
schéma supra sur les postures politiques).
[Aparté : la part de l’éducation a curieusement diminué quand on
est passé du ministère de l’instruction publique au ministère de l’éducation nationale.]
Les enseignants sont plutôt attachés à la forme traditionnelle. L’approche
par projet s’y oppose car elle se fait ni par classe et ni par discipline.
En fait, l'interdisciplinaire n'a vraiment de sens que pour les enseignants car les élèves
n’ont pas intégré encore en primaire et début de
collège l’approche disciplinaire.
L’approche plurielle correspond à la multiplication des points de vue,
c’est la complexité, la multi dimensionnalité.
On ne peut pas tout savoir, ni maitriser la pluralité des rationalités
disciplinaires, mais en les croisant, on peut dégager une zone
d’intelligibilité.
Une vraie interdisciplinarité serait de partager les concepts :
c’est trop difficile.
Par contre dans le cadre de projet, sur des objets intermédiaires,
c’est concevable.
Il faut penser des « moments » d’éducation qui ne sont
ni des moments de classe, ni des moments disciplinaires.
Des
moments (Lebeaume, 2000 ; Bisault, 2011) d’éducation
à articuler
|
Contributions disciplinaires : et non pas découpages
disciplinaires car on perdrait la complexité et donc l’intérêt.
Investigations multi référentielles d’enjeux de DD : on
fait des enquêtes, on prend du recul, en faisant si besoin appel aux
disciplines ; chaque discipline étant limitée ne peut pas résoudre tout.
Bref, « Enseignants : Nouvelles compétences, nouveaux gestes
professionnels, nouvelles postures » !
3- Questions - remarques des
participants et réponses de J.M. Lange :
1- Question de définitions :
transversalité ? Pluridisciplinarité ? Interdisciplinarité ?
La réponse de M. Lange :
- transversalité : c'est une question de société, "d'un
ailleurs", qui n'est donc pas disciplinaire. Néanmoins, elle traverse les
programmes. Par ex, la santé est une question transversale et on a besoin des
disciplines.
- pluridisciplinaire : chaque discipline a un élément de rationalité,
chacune apporte sa pierre à l’édifice, sans prendre en charge le tout (idée de
renoncer à toute tentative d'hégémonie).
- interdisciplinaire : une grammaire commune, des concepts, outils,
méthodes partagés. En pratique c'est une sorte d'utopie, très couteuse
intellectuellement parlant. Cela rejoint l'approche systémique, difficile à
mettre en place.
2- Comment convaincre les enseignants qui sont attachés
à leur discipline et rétifs face aux EPI car soupçonnés de n’apporter que du
savoir bas de gamme, du bien-fondé de l’interdisciplinarité et des futurs
EPI ?
On ne peut pas convaincre. Cela dépend des attributs qu’on porte aux
savoirs. Il faut que chacun se rende compte par lui-même qu’il y retrouvera ses
billes. En revanche, les élèves aiment et s’y retrouvent. Essayez, osez et vous
verrez…
3- On constate que ça marche quand les enseignants
s’entendent, sont motivés, autrement dit acceptent de donner du temps pour les
concertations et le travail d'équipe ; on ne peut pas imposer.
Oui, mais ça va diffuser… avec le risque pour les pionniers de la lassitude.
4- Témoignage d'une collègue : sur un dispositif obligatoire pour
tous les enseignants et élèves, dans un collège en ZEP (Yvelines) qui
articulait bien le disciplinaire et l'interdisciplinaire appelé "Pôles" : scientifique
/littéraire/linguistique et professionnel ; avec alignement des créneaux :
1h30 l'après-midi (au moins 3 fois par semaine), 4/ 5 fois dans l'année pendant 2/3 semaines.
Chaque niveau est divisé en groupes de compétences et animés en co-intervention
avec une heure hebdomadaire de concertation pour les équipes de chaque
pôle : le bilan très positif pour les profs et les élèves ; cela
demande une autonomie des établissements (possible par dérogation selon l'article 34 sur
l’expérimentation.
= Avoir une autonomie par rapport à la forme scolaire
JM Lange donne l’exemple de la Suisse romande et en conclut que la
question de la gouvernance est centrale. Dans ce cas, la réforme est partie
d’une évaluation de manière autonome à la base.
5- Les ESPE proposent-ils des formations dans
ce sens ?
Pratiquement jamais. Jamais on ne leur montre des projets collectifs.
6- On dit qu’on veut lutter contre les
inégalités scolaires par l’interdisciplinarité, or on constate (expérience en
AP de seconde de travail croisant l’analyse filmique, la SVT et la philosophie)
parfois que les élèves ne comprennent pas ce qu’on attend d’eux ; on sent
que certains décrochent parce qu’ils ne maitrisent pas les notions des
disciplines concernées, donc leurs interventions sont pauvres.
En effet, car on ne peut pas se passer des enseignements disciplinaires
pour remédier … Risque en effet de la bouillie conceptuelle, de l’anomie…
7- En MPS : l’absence d’évaluation ne motive
pas les élèves.
Oui, c’est la question du sens, et des évaluations : il serait
intéressant d’avoir une évaluation par compétences, avec la difficulté de
savoir lesquelles …
Tous les participants sont désireux qu’une nouvelle rencontre de ce
type ait lieu en début d’année scolaire prochaine, par ex sur le thème de
l’évaluation par compétences.
---
4-
Conclusion du Sgen-CFDT :
Le Sgen-CFDT est heureux de constater que par-delà les chapelles syndicales,
les collègues sont désireux de comprendre les enjeux didactiques de ces types
d’enseignements (TPE - IDD - AP - et bientôt EPI) ce qui ne peut que nourrir la
réflexion, la capacité à analyser les difficultés rencontrées lors de nos
expériences, donner l’envie de l’action et de multiplier les échanges entre
nous. Qu’un spécialiste nous y aide est vraiment salutaire et ne fait que
conforter notre besoin de formations, nous qui sommes conscients que le fait d’être
sur le terrain ne suffit pas à notre connaissance, notre savoir-faire, nos
compétences, notre expertise et qu’inversement, ce n’est pas parce que notre intervenant
« n'a pas du mettre souvent les pieds dans un collège », qu’il n’aurait
rien à nous apprendre, comme cela nous a été dit ! C’est bien mépriser les
collègues que de considérer qu’ils n’ont pas envie de comprendre ce que
signifie « enseigner » … Et c'est bien de la responsabilité d'un syndicat de leur permettre cette ouverture, pour mieux vivre son métier d’enseignant.
Merci infiniment à Jean-Marc Lange.
Les schémas appartiennent à Jean-Marc Lange.
Petite biblio :
·
LANGE, J.-M., JANNER, M. & VICTOR, P.
(2013). Des élèves auteurs d’un développement durable, un enjeu éducatif
opératoire pour la scolarité obligatoire. Penser l’éducation, Hors Série,
décembre 2013, 115-130.
·
LANGE, J.-M. (2013). Education au développement
durable : enjeux épistémologiques et didactiques des reconfigurations
disciplinaires possibles. Journées scientifiques du Ccléopodi (Curricula
Compétences Langage Evaluation Polyvalence Didactiques des Disciplines) 2013 «
Changements dans les curricula et reconfigurations des disciplines scolaires »,
Toulouse, 24-25 octobre 2013.
·
SCHNEEBERGER, Patricia; COTTEN, Alain; GOIX, Hervé;
GOIX, Marcelle; RODRIGUEZ, Raymond; VIDAL, Mauricette Types de travaux
personnels encadrés, postures d'enseignants et structuration (Institut
national de recherche pédagogique, Paris (FRA), 2004), ASTER, 39
·
MAGNERON, Nathalie; LEBEAUME, Joël Les élèves et les
itinéraires de découverte. Entre temps extraordinaire et postures moins
ordinaires (Institut national de recherche pédagogique, Paris (FRA),
2004), ASTER, 39
·
http://www.cahiers-pedagogiques.com/La-reforme-des-colleges-nouveaux-enjeux-et-perspectives-inedites
Avertissement :
Les schémas appartiennent à Jean-Marc Lange. Si vous les utilisez, merci de citer votre source (Jean-Marc Lange Université de Rouen) !
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