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lundi 7 juillet 2014

Bac ou pas bac

Quelques réflexions sur le bac...

Rue des Écoles sur France Culture, Benoit Hamon a dit il y a quelques temps que ceux qui considéraient le bac comme trop facile - "on donne le bac à tout le monde ! "- étaient de fait hostiles au bac.
J'ai récemment entendu des collègues dire que "le bac c'est vraiment n'importe quoi maintenant" dans le style "c'était mieux avant" [excellemment interprété par la troupe de théâtre des enseignants du lycée "les farceurs"]. Sont-ils pour autant pour sa suppression ?
Il apparait que ceux qui trouvent le bac trop facile sont ceux qui sont le plus attachés à cet examen, comme premier diplôme universitaire.

Les enseignants se rebellent - depuis longtemps d'ailleurs - quand on leur demande de relever leurs notes : il en va de leur liberté pédagogique, de leur Liberté. Quoi ! on m'impose de faire telle chose, je vais de ce pas faire le contraire ! Qui peut avoir l'outrecuidance de me dicter ma façon de noter ?



Certains syndicats ont d'ailleurs fait une belle affiche pour défendre le bac contre tous ceux qui auraient comme mission diabolique de le brader, et donc de lui retirer sa raison d'être.
Certains se battent avec force contre ce qu'ils considèrent comme une entreprise de démolition du bac.
N'acceptant pas de recevoir des injonctions de l'inspection pour changer les barèmes, modifier les notes, mettre une note plancher, ils dénoncent une remise en question de leur métier, de leur conscience professionnelle, de leur expertise, de leur intégrité à évaluer de façon objective et équitable.
Ils craignent aussi que de trop bonnes notes abusent les élèves, et que cette pratique démagogique qui relève de la politique du chiffre ait des effets délétères en faisant croire aux élèves qu'ils sont bons... Ils risquent alors de déchanter dans leurs études supérieures !

L'enseignant est-il libre de mettre les notes qu'il veut ? La question se pose en cours d'année scolaire; elle se pose encore davantage le jour d'un examen. Est-ce implicitement une remise en question du métier et donc une façon de jeter le discrédit sur les enseignants, sur le mode "ils ne savent pas noter", "on ne peut pas leur fait confiance", "qu'est ce que cette école qui impose de tels barèmes ?

Un juge - oublions les critiques récurrentes à leur encontre - juge en fonction des lois, il n'est pas libre de juger comme il l'entend ; un policier arrête et verbalise si on enfreint la règle, il ne le fait pas au nom de sa liberté, de son bon vouloir.

On sait que les profs sont soucieux de bien noter et qu'ils se sentent investis d'une forte responsabilité dans l'acte de noter. Cependant, que signifie l'acte de se rebeller face à des consignes précises, supposées "des injonctions"? Est-on chacun habilité à juger du bien-fondé de telle ou telle consigne ? N'est-on pas fonctionnaire, n'a-t-on pas une mission, celle que nous assigne le ministre, qui découle d'une politique scolaire issue de choix démocratiques?

Mais le malaise, ressenti par chacun d'entre nous, vient du fait que l'on est en train de changer de paradigme :

Nous étions des professeurs, fiers du concours réussi qui nous autorisait à nous considérer comme experts, experts en ce qui concerne le savoir à dispenser, mais aussi dans la façon de le dispenser et dans celle d'évaluer. Ce prof se réfèrait à sa discipline, qu'il maîtrise parfaitement, et il se réfèrait à un supposé devoir parfait qui vaudrait 20. A partir de cet idéal, il a la notation absolue.

Nous devenons des enseignants qui avons comme mission, celle de faire que les élèves dont nous avons la charge réussissent et s'ils sont en filière générale, technologique ou professionnelle qu'ils aient le bac. Ainsi, nous ne pouvons plus nous targuer d'être les maîtres absolus de notre enseignement - si tant est que nous le fûmes un jour ! - et de notre notation.

Ce passage se voit dans le fonctionnement du jury : désormais si le jury estime qu'il est nécessaire de remonter le nombre de points de tel candidat, il décide que le ou les point(s) supplémentaire(s) seraient donnés dans telle ou telle matière et le correcteur ne peut plus refuser au prétexte qu'il a donné la note juste ...
Ce passage se voit aussi, lors du dernier conseil de classe de terminale où on attribue un avis pour le bac, dans la disparition de l'avis "assez favorable" (dont le sens avait déjà  beaucoup évolué : de synonyme de "assez bon", il avait ensuite désigné un élève qui n'a pas de bons résultats mais qui est travailleur). Ainsi le conseil de classe se prononce non plus sur le niveau atteint qui serait insuffisant, assez bon, bon ou très bon ce qui impliquait qu'on était assez favorable, favorable ou très favorable à l'obtention du bac ou qu'on renvoyait l'élève à lui même "doit faire ses preuves à l'examen". Le raisonnement est désormais le suivant : le conseil pense-t-il que l'élève a fait en sorte de réussir son année et donc son bac, quel que soit le niveau acquis, quelles que soient les lacunes, les fragilités ? S'il a fait son travail d'élève, il est naturel que le conseil soit "favorable" à ce qu'il ait le bac même s'il n'a que 10 de moyenne ou 6 en philo.

Ce passage est difficile à accepter, il s'accompagne d'une dévalorisation du métier, du gel de nos rémunérations, d'un doute quant à notre identité professionnelle. Pourtant... certains arguments de ceux qui combattent pour que le métier reste celui d'antan sont étonnants.

Ainsi, de quel droit peut-on dénigrer les notes données en langues vivantes, trop bonnes, ou les notes des TPE - une fausse discipline, qui ne noterait que du copié-collé - ou ricaner quand on apprend que le devoir de physique est noté sur 24 ?

Pourtant qui ne s'est pas demandé si la note qu'il a concédée est juste ? Qui n'a pas eu un remords d'avoir mis 6 à un élève qui, s'il avait eu 7, aurait eu le bac ou simplement de se dire que s'il avait mis 5 au lieu de 6, l'élève ne serait jamais devenu bachelier ? De quel droit pourrions-nous dire qu'il ne le méritait pas ?

Qui peut être certain d'avoir la notation absolue ? Noter sur 20 ou sur 24, qu'est-ce que cela peut faire? N'est-ce pas simplement un barème, relatif comme tout barème ?
Pourquoi voudrait-on que les élèves sous prétexte qu'ils n'ont pas atteint le niveau d'excellence que chaque professeur fixe à une barre inatteignable, ne méritent pas le bac ? Pourquoi faut-il qu'on dise qu'il est bradé ?

Doit-on ou non supprimer le bac ? Le niveau du bac baisse-t-il ou non ?
Ce sont de fausses questions. Ce qui pose problème, ce peut être la nature des épreuves (dans certaines disciplines), l’empilement de connaissances en amont, c'est aussi le mode de calcul : que signifie avoir 10 ? quelles sont les compétences réellement acquises d'un élève qui a son bac scientifique avec moins de 10 dans chaque épreuve scientifique ? Admettons qu'il ait le niveau de fin de scolarité, mais à quoi bon parler de bac scientifique ?

Ne serait-il pas préférable de faire disparaitre les filières, évaluer les compétences acquises; et garder éventuellement un examen pour ceux qui sont candidats libres, ou pour ceux qui n'ont pas validé les compétences ?

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